Le regard creux
Un regard creux profond, c’était ce regard qu’il m’avait lancé. Sans sourire, ni expression, il m’avait glacé puis terrifié. Notre affrontement facial s’était terminé par un abandon, de ma part. Je me suis détourné par horreur, par effroi …
… et surtout par lâcheté.
Lui comme moi, nous représentions chacun une catégorie, chacun un monde, chacun une approche de la vie.
Et pourtant nous ne voulions endosser ni ces envies, ni ces caricatures.
J’aurais eu envie ensuite qu’il me tende la main, qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me blottisse sur son corps, mais ce fut vain.
Je ne sus lui montrer.
Je le regretterai plus tard, pendant longtemps, du moins autant que ma mémoire ne me fit défaut.
Je ne sais pourquoi cette image m’obsède et m’envahit l’esprit depuis ces si nombreuses années, mais cela a été un tournant de ma vie, plus qu’un évènement anodin et que l’on se force à oublier.
Elle me réveille plus qu’elle ne m’interpelle, elle me suit plus qu’elle ne me surgit, elle me guette quand je me détourne d’elle.
En fait, elle me dévore.
J’ai ce regard en moi, au fond de moi, comme l’œil de bouddha qui vous suit. Il est inquisiteur, mais aussi libérateur de l’emprise du monde dans lequel je vis, du moins dans lequel je survis maintenant …
… depuis.
Je ne me suis jamais redevenu celui qui était parti là-bas, il m’est difficile de savoir dans quelle période j’ai été heureux, moment où l’idée du bonheur a pu m’effleurer.
… l’ai-je été ?
Je me traîne dans ma nouvelle peau, comme un envoûté qui porte un regard décalé d’une société d’auparavant. Rien ne me retient et pourtant tout me pousse à y retourner, pour savoir, pour comprendre, pour le retrouver. Et pour l’affronter enfin…Je n’y vais pas, je m’en veux. Je fais et redéfais mes maigres affaires.
Un jour mon sac sera prêt et je partirais.
Ce jour n’est pas arrivé, aujourd’hui, mon âme erre ……
moi avec.
Il me ronge, j’ai cette étrange impression parfois qu’il guide mes choix, mon raisonnement, et autoalimente ma pensée.J’ai essayé de le noyer en restant indéfiniment au fond de l’eau, j’ai essayé de le brûler avec une cigarette, j’ai essayé de l’exorciser en m’enveloppant dans de l’encens.
Ces souffrances que je faisais subir à mon corps n’ont subi qu’à me faire du mal …… et cela ne m’a pas apaisé.
Quand je ferme les yeux, une ombre m’apparaît de pleine face et me jette ce même regard. Je ne dors plus, je ne veux plus fermer les yeux, je ne veux plus le voir. L’apercevoir suffit à mon combat. Je deviens insomniaque, mes mouvements saccadés par mon manque de maîtrise de moi par toutes ces nuits et jours sans repos m’insupportent.
Je ne veux plus me rencontrer, ni me croiser, ni me sentir.
J’ai enlevé toutes traces de reflet dans mon appartement, un courant d’air est permanent chez moi. Ce besoin de purification, je ne le comprends pas. Je m’entoure de précautions divinatoires, je me suis débarrassé de tout ce qui est inutile. Je m’allonge à même le sol, prends des positions bibliques, cherche de l’apaisement.
Et rien ne vient, rien ne me soulage de cette emprise. Mon habillement reflète cette métamorphose, il est le miroir de ce mal-être, de ce dérangement, diront certains. Mon visage est meurtri par tant d’excès de résistance, ma peau s’est tannée, mes mains se sont cambrées d’où surgissent des ongles mal entretenus.J’ai peint mes murs, du moins asperger les murs de couleurs.
On retrouve les couleurs de la vie, des tons pastel de ceux de la violence.
Et ces dernières teintes dominent celles de la sérénité. Un semblant d’arc-en-ciel … celui de mon esprit. C’est décidé, aujourd’hui mon sac sera fait pour la dernière fois. Il faut que je sache, j’ai décidé de partir … et de ne plus revenir.
Ce sera lui ou moi.
De toute façon, j’y resterai, je ne peux résister à cet appel.
Quitte à en mourir !