Pakistan novembre 2014
L’avion atterrit dans un brouillard qui ne nous quittera pas pendant 5 jours. Il est 4 heures 30 du matin, la vérification des papiers s’éternise, nous sommes moins d’une dizaine de blancs dans l’airbus 330, nous récupérons les bagages.
Au lieu du bus de l’hôtel, 2 petites voitures nous attendent, des chauffeurs étranges. Un enrubanné monte après dans l’une, cela sent le traquenard, pourtant on roule 30 mn. Sentiment étrange qu’il essaye de nous emmener dans un lieu à part, on est sur les nerfs et le qui-vive, on ne montre rien.
On est dans un pays qui est sur la liste des pays à ne pas s’y rendre. En août dernier, l’aéroport de Karachi avait été envahi par les islamistes et pris en otage pendant une semaine. Alors pour sortir de celui de Lahore -2eme ville du pays avec ses 7 millions d’habitants - on avait dû passer par des check-points, des barrages.
Finalement on tombe sur un panneau de l’hôtel, avec un gardé armé dans une ruelle poussiéreuse, le portail s’ouvre, on retrouve nos 2 compagnons, puis on récupère les chambres.
Par précaution on bloque la porte de l’intérieur avec 1 canapé, une chaise, appuyés sur le mur opposé. Personne ne pourra rentrer sauf grosse armada : le temps précieux pour se mettre debout et être prêt.
On a 2 heures pour se remettre à niveau. Je m’endors
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Une première journée, trimballés dans une land cruiser avec fenêtres sans tain, on découvre protégé le Pakistan. Mes compagnons prennent confiance et je les mets en garde du syndrome de l’aquarium.
Le soir invités dans un hôtel de luxe, protégé comme une ambassade avec portail anti-bélier, herse anti-voitures, gardes, vérification chassis – capot – coffre, on passe.
Des gardes de partout armés, mais pas sur les nerfs. Comme dans toute la ville.
Après une deuxième journée de rencontres, de visites d’usines et de découvertes, j’avais émis l’idée d’une promenade à pied dans la ville. On passe de la langue de bois polie sur la situation du pays à une réalité ….
Alors ce soir on part se balader au milieu de Lahore, c’est décidé !
Ils nous emmènent à un endroit exclusif, à part, proche de la mosquée. On fait une promenade de Pakistanais riches, et on ne se sent pas rassasié.
Nous on veut affronter le vrai Pakistan, ils hésitent, demandent au chauffeur de venir avec nous.
A 3 ils nous encadrent nous 4.
Les regards pesants, les 3 pakistanais ont la trouille pour nous, ils serrent les rangs … on est en pleine vieille ville de Lahore, on n’est pas embête mais guetté, surveillé, épié… du monde de partout, des odeurs, des stands, des vendeurs à la sauvette, des gens de partout, ça grouille, la pollution nous pique la gorge, nos pieds tapent la chaussée mal pavée.
On fait les ruelles, on est dévisagé de partout, des gamins nous haranguent, on monte sur le toit d’une maison d’un oncle, les femmes se cachent, on ne prend pas de photo, on joue profil bas, on y reste 1 heure en tout, on aimerait prendre des photos, on n’ose pas, on sent que la poudre peut exploser à tout moment, que l’un peut vouloir se fanatiser un instant.
En exemples.
Ils veulent nous inviter dans un restaurant chic, et nous on pousse à diner dans la rue. Alors avec du pain, de la viande cuite devant nous et une table improvisée, on passe un grand moment à la pakistanaise. On s’y sent bien, on est décontracté entre nous.
Le chauffeur depuis est devenu notre copain, j’avais insisté dès midi qu’il fasse parti de l’équipe, il est souriant heureux, il regarde le facebook de Briefing, il me serre la main comme un ami lorsqu’on se quitte. Il est en face de moi à table, il nous porte un joli regard, il nous a même demandé nos prénoms.
Le monde est dingue et attirant.
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Par mail, on reçoit un mail du gouvernement français pour expatriés demandant de redoubler de méfiance au Pakistan. Je n’en parle pas aux autres.
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Des heures de voiture, des rencontres, des meetings dans des usines souvent de tailles familiales ou PME à part une exception sur une quinzaine de meetings, beaucoup d’attentions pour que les peuples trouvent une harmonie, des plats et moments à rallonge ….
Le faciès est indien, nous n’abordons pas les conflits « indiens », nous évoquons souvent le Bangladesh qui était une partie du Pakistan avant 1971. Les stigmates des années britanniques sont de partout encore aujourd’hui.
Des usines masculines exclusivement, à l’exception d’une, mais pas de mélange. Très peu de femmes visibles, un mélange de femmes voilés et d’autres à l’occidental proche de l’université ou au pizza hut où un jour nous sommes invités. J’ai cette impression qu’ils veulent nous montrer qu’ils sont aussi occidentaux avec cet envahissement de marketing américain.
Dans nos repas traditionnels, les plats sont très bons à base de viandes avec ou sans sauce, riz et pains.
J’insiste à dire bonjour en Ourdoul, juste pour montrer que je fais un pas vers eux, nous jouons profil bas, nous sommes habillés même simplement. Nous attendions 30°c, il fait un confortable 23°c la journée.
Mais toujours ce brouillard et cette poussière omniprésente.
De la fatigue, des petites tracasseries le long de nos routes vers Sialkot en étant arrêtés plusieurs fois, un peu de Smecta pour survivre, et puis un hôtel de fortune … dans lequel certains de notre équipe préfèrent dormir tout habillés, d’autres ne voulant pas toucher la douche froide. Sale de surcroit.
Forcément.
L’électricité s’est arrêtée brusquement depuis un moment, le générateur qui a démarré quelques minutes plus tard en secours crache sa haine avec un bruit assourdissant, nous on s’endort plus ou moins bien, barricadé chacun dans sa chambre : une chaise bloque la porte d’entrée avec efficacité.
Je ne bouge pas quand une personne frappe à la porte tard la nuit … je regarde par le judas sale et il y a pile devant un qui prétend être le « house keeping » avec un plateau et planqué tout à droite un homme qui tente de se cacher. Elle insiste 2 fois, 3 fois … puis part.
Nous sommes loin des hôtels avec des services de chambre, tout respire la poussière.
Internet donne l’impression de rapprocher les situations et lieux. Dans l’équipe, certains se décontractent et je les mets à nouveau en garde. On ne lâche pas notre vigilance, c’est mon leitmotiv.
Nous sommes loin de tout, la barricade des hôtels avec des gardes armés postés devant à l’exception du 3eme soir nous rassure. Et ce soir nous ne l’étions pas, juste un vieux garde mal-armé qui s’était probablement assoupi.
Dans la rue principale de Lahore, un siège politique des extrémistes qui font une véritable campagne de religionalisation. Des affiches, des banderoles, des barbus pour influencer.
Le contexte semble inquiétant.
Je vais revenir dans 3 ou 4 mois, je vais m’équiper d’un habit local pour m’intégrer et faire un pas vers ce pays qui nous a bien accueilli.
Le Pakistan avec sa 6eme population mondiale, sa superficie 1,5 fois la France a des ressources en minerais, en or, en pétrole, mais aussi en coton. Avec cette adition et devant l’isolement que tente et a réussi les USA, ils fabriquent à bas couts et sont obligés d’avancer à distance le plus souvent dans un contexte à part.
Une nation fière d’être championne du monde de cricket, où dès qu’il y a un carré d’herbe tanné, des enfants s’entrainent. Un pays qui a gardé ses traditions britanniques et qui est rattaché économiquement à l’ancien empire.
Le Pakistan c’est le pays d’avenir, mais la méfiance de l’islam pousse les occidentaux à les organiser en ghetto à l’échelle du monde.
A l’heure du thé traditionnel, le Pakistan est à la croisée des chemins entre son passé qui pourrait la pousser à créer un nouveau lien avec la Grande-Bretagne dans son contexte actuel et l’autre à régler ses problèmes de conflits internes, religieux et guerres territoriales avec ses voisins pour aller de l’avant en pacifiant le pays afin d’accueillir plus d’investisseurs.
Dans l’avion retour, il y a 3 blancs seulement. Le spectre de la peur d’y aller les isole et les marginalise.
Dans notre équipe de 4, la moitié revient avec de la fièvre, des troubles du ventre, le 3eme déclenchera aposteriori une infection urinaire.. Nous avons mis des sourires cette semaine à des situations, qu’avec analyse postérieure, on ne peut imaginer.
Inch’allah !